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Baroque Global

Une exposition aux Scuderie del Quirinale

Se tient à Rome, jusqu’au 13 juillet 2025 « Baroque Global », une exposition très intéressante sur la Rome XVIIe siècle, alors ville cosmopolite. Baroque Global est visible aux Scuderie del Quirinale. Cette exposition est un jette un regard sur l’importance de la ville éternelle au siècle du Bernin. C’était alors un point de connexion d’un vaste réseau d’échanges entre les continents. À l’époque l’Afrique, l’Amérique et l’Asie n’étaient plus des terres lointaines, mais des réalités concrètes. Les œuvres de grands artistes baroques tels que Gian Lorenzo Bernini, Pietro da Cortona et Nicolas Poussin illustrent par leurs travails cette Rome mondial, lieu de rencontre de ce monde fait de missionnaires et d’ambassadeurs.

L’ambassadeur africain

Dans la première salle est visible le buste de l’ambassadeur africain Antonio Manuel Ne Vunda. C’est une œuvre commandité par le pape Paul V Borghèse. La statue est de Nicolas Cordier. Le buste a été réalisé à partir d’un masque mortuaire, afin de garantir le respect des traits physionomiques. Ne Vunda a également été représenté endossant le Nkutu, l’habit typique de son pays. L’ambassadeur est représenté à l’ancienne c’est à dire en utilisant des pierres de différentes couleurs. Dans la même salle, un grand tableau nous montre le défilé de carnaval qui eut lieu en 1656 au palais Barberini. Le tableau est de Filippo Lauri et Filippo Gagliardi. Des africains participent également au défilé, alors qu’ils étaient encore de esclaves.

La deuxième salle de l’exposition Baroque Global

La statue du jeune homme africain a été réalisée par Nicolas Cordier en intégrant des fragments antiques. Elle représente une Afrique réimaginée à travers l’ancien, véhiculant une idée d’exotisme qui émerge également le tableau des Chasseurs de Giovanni Campi. La couleur de la peau devient alors un indicateur utilisé dans la représentation des gitans ,comme dans la statue de la Fille et le chien et les protagonistes des trois tableaux représentant la Bonne Aventure de Simon Vouet, Valentin de Boulogne et Bartolomeo Manfredi. Traditionnellement, les communautés roms bien que faisaient partie du tissu romain, mais marginales, elles étaient associées à l’Egypte. Ce n’est pas un hasard si au dos du tableau de Simon Vouet, le sujet est défini comme AEGIPTIA VULGO, égyptienne.

La troisième salle de Baroque global

Le jésuite Athansius Kircher, auteur de la copie de l’obélisque Flaminio, a rassemblé au Collège Romain une collection d’objets provenant des cultures du monde entier. Ces objets sont arrivés à Rome par les missions de son ordre religieux. Parallèlement à la collection, Kircher a publié des livres sur une grande variété de thèmes, parmi lesquels l’Égypte joue un rôle important. En 1652, Kircher publie un volume intitulé Œdipe Égyptien, qui comprend une représentation d’Isis, imaginée à la fois comme mère des dieux et comme symbole de l’idolâtrie égyptienne. Et c’est précisément cette relation entre l’Égypte et la Rome antique, matérialisée par l’obélisque qui faisait partie du tissu urbain de la ville, qui avait déjà été cruciale pour Pietro da Cortona dans le tableau exposé ici.

Bernin, l’Afrique, l’Amérique

Avec la Fontaine des Quatre Fleuves sur la place Navone, Gian Lorenzo Bernini place Rome au centre des continents alors connus à travers des personnifications de fleuves : le Danube pour l’Europe, le Gange pour l’Asie, le Nil pour l’Afrique et le Rio della Plata pour les Amériques. Les modèles présentés ici révèlent le processus créatif du Bernin. Bien que représentant l’Amérique, le Rio della Plata a les traits d’un africain. En comparant les deux modèles de la fontaine, on voit que cela a été intentionnel. Dans la première version, le Rio de la Plata a les attributs des indigènes du Nouveau Monde, une jupe et une couronne de plumes. Mais, dans les mêmes années, le jésuite Alonso de Ovalle publiait un livre dans lequel il parlait des communautés africaines d’Amériques. La peinture d’Albert Eckhout suggère également comment les communautés africaines, à travers la traite des esclaves, avait désormais modifié la démographie des Amériques.

La vierge et l’enfant Jésus

En 1569, le pape Pie IV accorda au général des jésuites Francesco Borgia le pouvoir de reproduire l’icône de la Salus Populi Romani, conservée dans la basilique sainte Marie Majeure, et de l’utiliser dans son activité de missionnaire. Des reproductions de cette icône ont commencé à circuler dans le monde entier, principalement sous l’impulsion des Jésuites, déclenchant la production d’autres copies ou œuvres inspirées de l’icône de la Salus Populi Romani et cela dans divers contextes culturels et à travers un large éventail de techniques et de supports. Ce rouleau, réalisé par un artiste chinois inconnu, provient presque certainement d’une reproduction imprimée, comme celles de Hieronimus Wierix dont est également tirée la Sainte Cécile exposée dans cette salle. Contrairement à la statue de Sainte Cécile de Stefano Maderno, ici l’artiste a adapté le style de l’icône à ses propres canons artistiques.

L’Eglise et le monde.

Mise en œuvre par les ordres religieux et orchestrée par la Confrérie de la Propagation de la Foi, l’activité des missionnaires a créé un réseau dense de relations qui reliait le monde à Rome. Le jésuite français Nicolas Trigault, est peint habillé en mandarin, par Rubens en 1617, juste avant de partir pour sa seconde mission en Chine. Il incarne cette complexité des relations. Il publia aussi un volume avec les écrits du jésuite Matteo Ricci dédié à Paul V Borghèse. La gravure illustrant l’activité des missionnaires franciscains dans le Nouveau Monde incluse dans la Rhetorica Christiana a joué un rôle fondamental dans la communication avec les populations indigènes. Outre la circulation des icones, statues et peintures romaines à l’échelle mondiale, cette époque voit la reconnaissance de saints issus ou liés à des contextes non européens, comme sainte Rosa de Lima, une sainte péruvienne.

Adoration des Rois Mages

Le tableau de Giacinto Imignani a été commandé pour la chapelle du palais de la Congrégation pour la Propagation de la Foi, instituée en 1622 par le pape Grégoire XV dans le but de coordonner toutes les activité missionnaire de l’Église de Rome. Les Rois Mages, parmi les premiers à se convertir, constituent donc un sujet particulièrement approprié pour traduire, au XVIe siècle, l’activité de conversion. En fait, ils pouvaient avec éloquence convaincre les populations des terres lointaines, prêtes à accueillir des missionnaires. Souvent, l’un des Rois Mages est représenté comme un homme d’origine africaine. Dans ce contexte spécifique à l’activité missionnaire qui s’est étendue de l’Asie à l’Afrique et aux Amériques, cette caractérisation ethnique a pris une signification particulière.

Une nature en expansion

« J’ai vu les peintures de 500 plantes indiennes. » C’est ce que disait Galilée Galilée en 1611 après avoir visité la résidence du marquis Federico Cesi, l’âme de la première Académie mondiale. À partir du XVIe siècle, au contact du Nouveau Monde, Rome devient un centre européen majeur pour l’élaboration et la visualisation, à travers les arts visuels, d’un monde naturel en expansion. L’académie des Lincei a promu l’édition du Tesoro Messicano, un volume qui cataloguait le monde naturel des Amériques. Tandis que de nombreux autres volumes présentaient des plantes rares cultivées à Rome. Ces productions impliquèrent les plus grands artistes de l’époque, tels que Pietro da Cortona et Guido Reni qui créèrent les illustrations pour le tome De Flora Cultura.

Le singe ouistiti

Des illustrations raffinées comme celle de la Passiflora de Jaccopo Ligozzi, dialoguaient au XVIIe siècle avec des natures mortes peintes qui combinaient souvent des fleurs et des animaux exotiques avec des hommes et des femmes d’origine africaine, créant ainsi un discours visuel sur l’exotisme qui incluait également des êtres humains. Des plantes et des animaux exotiques étaient collectionnés dans les maisons des aristocrates et des cardinaux et devenaient des signes de distinction sociale. Le singe ouistiti provenant du Brésil a été représenté par Sebastiano del Piombo dans le Portrait d’un Cardinal. Dans l’œuvre l’Orphée di Marcello Provenzale, il imagina un monde idéale où la flore et la faune de mondes différents convivaient, comme on pouvait le voir à Rome, dans les jardins des principales familles nobles romaines.

Sitti Maani

Sitti Maani Gioerida Della Valle était une femme persane, épouse du noble romain Pietro Della Valle. Il épousa lors d’un de ses voyages qui le conduisit en Perse et en Inde. Sitti mourut au cours d’un voyage mais son corps fut ramené à Rome pour être enterré dans la chapelle familiale de l’église d’Ara Coeli. Un volume important édité par Girolamo Rocchi comprenait une biographie de Sitti Maani. C’était un précieux témoignage de la façon dont une femme persane pouvait être intégrée dans la Rome du XVIIe siècle. Le catafalque qui transportait le corps de la femme dans l’église était décoré d’inscriptions en treize langues différentes. Dans l’église au sommet de la colline du Capitole, des caractères arabes, turcs, chaldéens et persans côtoyaient des caractères latins et grecs.

Rome et la diplomatie globale

Le portrait d’Ali-qoli Beg, ambassadeur du roi de Perse Abbas Ier, réalisé par Lavinia Fontana à l’occasion de la rencontre avec le pape Paul V Borghèse, constitue un témoignage exceptionnel des relations diplomatiques que la Curie entretenait avec des régimes lointains. Des effigies comme celle-ci et celles qui peuplent la Sala Reggia, la salle Corrazieri du Palais du Quirinal, ont été commandées par Paul V précisément pour commémorer les ambassades accueillies à Rome. Même la rivalité avec Istanbul, marquée par des guerres et des batailles comme celle de Lépante en 1571, n’empêcha pas Scipione Borghese de commander à Domenico Tempesta une peinture représentant la Chevauchée du Grand Turc pour son palais de Montecavallo. Grâce à la diplomatie exprimée par la religion, Rome devient aussi une ville capable d’accueillir les étrangers, comme l’observe Michel de Montaigne.

La Mire de saint Charles Borromée

Grace au contact entre l’Europe et les peuples autochtones du Nouveau Monde, des objets fabriqués à partir de plumes selon des techniques propres aux communautés locales ont été collectés avec un grand intérêt en Europe. Malheureusement, en raison de l’extrême fragilité de ces œuvres, seules quelques-unes d’entre elles nous sont parvenues. La mitre de saint Charles Borromée est un exemple exceptionnel. Avant d’arriver à Milan en provenance du Nouveau Monde, il débarqua à Rome, et c’est le pape Pie IV qui en fit don à saint Charles Borromée. Ces vêtements n’étaient pas seulement collectionnés, mais également utilisés lors des liturgies. Déjà au début du XVIe siècle, Thomas More, dans son roman Utopia, imaginait une île idéale où les prêtres portaient « des vêtements presque brodés non pas de pierres précieuses, mais de plumes d’oiseaux diverses, disposées de telle sorte que l’ouvrage vaut bien plus, au-delà de toute estimation, que le tissu ».

Alternance entre imagination et littérature

La magiciènne musulmane Armide, personnage de la Jérusalem délivrée de Torquato Tasso, capable de créer le chaos avec une beauté, a inspiré le portrait de Maria Mancini Colonna, nièce de Mazarin et très aimée de Louis XIV. Elle est représentée habillée en Armide pour le carnaval de 1669. Elle est peinte par Benedetto Fioravanti dans un étalage de tissus, de vêtements et même d’animaux qui codifiaient un autre monde imaginé. Reprenant le fil narratif qui entrelace littérature et monde global, qui se manifeste à travers la diplomatie, les missions et la circulation des connaissances, la peinture de Fioravanti dialogue avec le Guerrier de Pier Francesca Mola et aussi avec Erminia et Vafrino soignant Tancredi, peints par Alessandro Turchi, encore un épisode de Jérusalem délivrée. De la même manière, l’Andromède de Rutillio Manetti appartenant à Scipione Borghese, est transformée en fonction d’un nouveau idée de la beauté. Andromède était une princesse éthiopienne et pour cette raison elle aurait dû avoir la peau foncée.

Rome croisement de cultures

1622, Antoine Van Dyck, un jeune mais déjà célèbre peintre flamand, représente l’ambassadeur de Perse, l’Anglais Robert Shirley et sa femme, mariée en Perse. Le peintre s’attarde avec un plaisir agréable sur les formes, les matières et les couleurs des tissus orientaux avec lesquels Shirley se montrait à Rome. Avec ces deux portraits, Van Dych, peintre étranger à Rome, connaissait à la fois l’histoire des deux sujets représentés à travers l’Asie et l’Europe, l’Islam et le Christianisme, ainsi que celle d’une Rome imaginée par ses habitants comme un lieu global, un carrefour de cultures. De même, Hannibal traversant les Alpes de Nicolas Poussin raconte une histoire entièrement romaine et pourtant éminemment transnationale. Ce tableau est en fait aussi un portrait. L’éléphant représenté est Don Diego, est né en Inde, il a traversé deux continents pour débarquer Rome. Installé au palais Venese, Don Diego évoquait les contacts avec des terres lointaines.

Notes

  • Baroque Global jusqu’au 13 juillet 2025
  • Aux Scuderie del Qurinale
  • Entrée 15 euros
  • Tous les jours de 10 à 20 heures
  • Pour réserver vos visites téléphonez au +393479541221
  • Ecrivez à arterome2@gmail.com